Vraie guêpe avec sa taille fine, ses flancs ronds et son
moteur qui bourdonne, le scooter créé en 1946 par Piaggio revient en 2013,
baptisé 946. Entre-temps, Vespa a conquis le monde.
C’est l’expression du design le plus abouti. Quand
l’esthétique épouse parfaitement la fonction. Ou le contraire. C’est l’histoire
du capitalisme italien, de ses grandes familles. Celle de la mondialisation
aussi. Une icône de la société de consommation qui raconte le monde tel qu’il
va. "Sembra una vespa !", s’écria Enrico Piaggio, quand l’industriel
découvrit les premiers croquis du deux-roues au lendemain de la guerre.
"On dirait une guêpe !", en effet, cette moto avec sa taille fine,
ses flancs arrondis et le bourdonnement de son moteur ! Vespa… Le nom est
resté. Et la marque est devenue une légende. Depuis 1946, 18 millions de ses
scooters ont été vendus dans le monde. Et voici qu’en 2013 arrive la Vespa 946,
hommage au premier modèle, le prototype MP6, avec sa carrosserie monocoque en
guise de châssis, qui enveloppe le moteur, la transmission, la batterie et la
boîte de vitesses. Un retour vers le futur pour… 7.500 euros.
Quand commence la saga Vespa, il ne reste pas grand-chose de
l’usine Piaggio à Pontedera, près de Pise. Elle a été bombardée par les Alliés.
L’industriel, qui fabrique des trains et des avions de chasse, doit se
reconvertir. "L’idée était de motoriser l’Italie, de faire entrer le pays
dans la modernité", explique David Nadjar, un passionné de scooters qui
brigue ces jours-ci, au côté de sa femme, la présidence du Vespa Club de France.
Chez Piaggio, un ingénieur aéronautique, Corradino
d’Ascanio, imagine une moto qui se conduit en position assise. Tellement
pratique pour la ragazza en jupe serrée ou le Don Camillo en robe noire !
L’histoire raconte qu’il dessina d’abord une personne dans un fauteuil avant
d’imaginer le véhicule. Autre coup de génie, en cas de crevaison, les roues,
fixées à un bras autoporteur, comme le train d’atterrissage d’un avion, se
changent en quelques minutes, sans devoir faire appel à un mécanicien. Une des
premières publicités de Vespa, en 1946, un dessin au pastel, montre une jeune
femme souriante en tailleur bleu, filant sur son scooter rouge, levant
nonchalamment le bras droit, l’air de dire : "Regardez comme c’est facile,
j’y arrive, et d’une seule main qui plus est."
Plus tard, à partir de 1951, bien avant celui de Pirelli, un
calendrier mettra en valeur les nouveaux modèles de la marque avec des pin-up
dans des positions extravagantes sur leur machine : Ursula Andress, Mylène
Demongeot ou Romy Schneider. Vespa aussi sait faire la star. En 1953, elle joue
les premiers rôles avec Audrey Hepburn dans Vacances romaines. L’actrice,
installée en amazone derrière Gregory Peck au début du film, ne tarde pas à
prendre le guidon et à filer en toute liberté dans les rues de Rome. Puis ce
sera La Dolce Vita de Federico Fellini, où les paparazzis poursuivent sur le
fameux insecte mécanique la sublime Anita Ekberg. Un peu plus tard, en 1963, à
la veille de grandes révolutions de la jeunesse, Vespa fait la sienne en lançant
la Vespina, une petite cylindrée de 50 centimètres cubes
qui se conduit dès l’âge de 14 ans, sans permis ni assurance.
Dix ans après la naissance de la première Vespa, il s’en est
écoulé 1 million, en Europe, mais aussi en Amérique et en Asie. Vespa, avec un
petit v, devient un nom commun pour dire scooter. "C’est l’idée la plus
innovante que l’Italie ait eue depuis l’invention du char de la Rome
antique", écrit le quotidien anglais The Times, qui compare sa réussite à
celle de la Ford T. Et le magazine Fortune classe la Vespa parmi les 100
premiers objets design ayant remporté un succès mondial, comme le racontent
Valerio Boni et Azzurra Della Penna dans leur très beau livre Vespa (Editions
de La Martinière). Dès la fin des années 1950, des usines d’assemblage sous
licence fleurissent partout, comme Acma, en France, qui sortira même une
version militaire équipée d’un canon, sans succès, mais aussi au Brésil et en
Inde. "La Vespa est comme les Italiens, affirme l’écrivain-voyageur
australien Peter Moore. Bruyante, nonchalante, peu pratique et pourtant
élégante et simple."
Très vite, ce scooter si particulier, avec ses roues de 10 pouces de diamètre,
son changement de vitesse sur la poignée gauche et sa pédale de frein arrière
sur le plancher, a des fan-clubs aux quatre coins du monde. Les vespisti
(vespistes), hommes et femmes, viennent de toutes les catégories sociales,
toutes les générations. "Une légende parmi tant d’autres raconte qu’il
faudrait attribuer au comte Francesco Leopardi, aristocrate italien, le double
mérite d’avoir suggéré dès 1944, à son ami Enrico Piaggio, de reconvertir ses
usines vers la création d’un deux-roues populaire, mais surtout d’avoir fondé à
Ancône, dès l’automne 1946, le premier regroupement d’utilisateurs", écrit
David Nadjar dans son livre Vespa & clubs de France. On en compte plus de
100.000 en 1956, au plus fort du mouvement en Europe. Les vespistes se
réunissent par villes, régions ou pays, organisent des balades dominicales, animent
des ateliers techniques, éditent des revues et participent à des rassemblements
populaires comme le Sciame d’argento (l’Essaim d’argent) à Milan en 1948, mais
aussi à des courses mythiques, tel le Giro dei tre mari (le Tour des trois
mers) en 1953.
Aujourd’hui, il existe plusieurs centaines de Vespa clubs
chapeautés par Piaggio, qui a décidé de reprendre en main le mouvement ces
dernières années. C’est d’ailleurs un salarié de Piaggio, Marco Manzoli, qui
est secrétaire général du Vespa World Club, et supervise les Vespa World Days,
qui, chaque année, réunissent dans une grande ville d’Europe des aficionados du
monde entier. Le dernier rassemblement a eu lieu à Londres, quelques jours
avant l’ouverture des jeux Olympiques.
Toutes ces manifestations donnent l’occasion de découvrir
des modèles magnifiquement restaurés. Un vrai business de nos jours. Il suffit
de jeter un coup d’œil sur Leboncoin.fr pour comprendre l’ampleur du phénomène
: plus de 8.000 réponses apparaissent à la requête "Vespa". Pistons,
fourches, amortisseurs, jantes, livrets techniques et vieux scooters…
"Récemment, un modèle restauré des années 1947-1948 a été vendu 70.000
euros", raconte Jean-Louis Cruvellier, un ancien président du Vespa Club
de France, qui vient de publier 260.000 km en Vespa (éditions Atelier des
livres).
Une copie indienne qui coûte 1.000 euros de moins
Un modèle de 1946, restauré par un Italien de Varèse, est
parti au Canada pour 53.500 euros. "Au Danemark, j’ai vu une Vespa de 1953
dans son jus à saisir pour… 14.000 euros", relate David Nadjar. Et, comme
toujours quand les prix s’envolent, les contrefaçons pullulent, en provenance
d’Asie, pour quelques poignées de dollars. "Beaucoup sont fabriquées dans
des petits ateliers au Vietnam où Piaggio a ouvert une usine en 2009, explique
un employé de Motori Italiani, spécialiste du scooter vintage à Paris. On
dirait des modèles -anciens mais tout est bricolé. Les rondelles de calage sont
faites avec des canettes et les filtres à air avec du papier journal."
Il existe aussi des copies légales du célèbre PX, le modèle
mythique de Vespa lancé en 1977, fabriqué en Inde par LML. Cet industriel avait
signé un accord technologique avec Piaggio en 1984, puis mis un terme à leur
joint-venture quinze ans plus tard. Il continue d’exporter son scooter dans le
monde. En France, il vaut 1.000 euros de moins que le modèle original. Une
famille napolitaine a eu l’idée de venir concurrencer Vespa sur ses terres en
jouant la carte des coloris, façon Benetton, avec selles de couleur rose et
carrosseries vert gazon.
Source : challenges.fr
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